“Il est essentiel que les collectivités aient les moyens d’agir !”
mardi 28 avril 2020
“Qui aurait pu imaginer un jour qu’on demanderait aux français de rester chez eux plusieurs semaines ?” Sébastien Prévot, directeur de cabinet dans la ville de Saran nous ouvre les portes de sa commune en confinement. Il évoque les difficultés éprouvées, les chantiers désormais prioritaires, les attentes des collectivités locales face au gouvernement.
Une voix démocratique pleine d’humilité et de pertinence.
À travers une série d’interviews, Fluicity vous fait découvrir “Les voix de la démocratie”. Les voix de celles et ceux qui l’incarnent, et les voies qu'emprunte la démocratie elle-même pour vivre, se questionner et se réinventer.
1. A quoi ressemble une ville en confinement du point de vue des services municipaux ? Racontez-nous.
Une ville en confinement, c’est une ville à l’arrêt... mais pas à l’arrêt total. Les missions ont changé ou se sont adaptées.
La plupart des services sont fermés, c’est vrai. Vous ne pouvez plus aller à la piscine, ou déposer un permis de construire, par exemple. Les services administratifs continuent de travailler en télétravail, autant que possible. Les plus actifs sont les services régaliens comme l'État civil, la Police, les services à la personne.
Nous avons sur notre territoire un hôpital privé, un EHPAD, des établissements de soins, des professionnels de santé libéraux et l'hôpital régional d’Orléans à proximité. Donc de nombreux saranais qui exercent des métiers liés à la santé ! Nous continuons d’assurer l’accueil de leurs enfants dans nos structures. Ce qui implique forcément la présence d’animateurs municipaux, du personnel de restauration scolaire, du service d’entretien pour le ménage et la désinfection des locaux… Un semblant d’écosystème est maintenu !
La mairie s’occupe également d’un foyer résidence pour personnes âgées et 27 auxiliaires de vie sociale poursuivent leurs activités auprès des seniors (aide à domicile, portage des repas).
Donc de nombreux services municipaux continuent à fonctionner, mais en mode dégradé si on peut dire.
2. En quoi cette crise a-t-elle interrogé vos pratiques et vos référentiels au sein de la mairie ?
À Saran, le lien humain et le contact direct avec la mairie a toujours été important. Cela fait partie de l’histoire de notre ville. À chaque fois qu’un service numérique a été mis en place, son but était de proposer un outil supplémentaire, jamais de se substituer au contact réel. Avec un confinement imposé, tout ce fonctionnement “non virtuel” disparaît.
C’est là qu’on se rend compte que les outils numériques d’information, d’échange ou de discussion, ont toute leur place au niveau local. Avoir déjà des outils en activité est un plus. Plus une ville aura investi suffisamment tôt dans ces outils, plus elle possèdera une base d’utilisateurs solide, qui ne pourra que croître.
À Saran, tout n’a pas été parfait, mais nous nous en sortons plutôt bien pour garder le contact avec la population. Je constate néanmoins 2 grandes difficultés.
1. le manque d’informations à communiquer. Les villes apprennent comme tout le monde ce qui est décidé, en suivant les allocutions du Président ou du gouvernement. Nous n’avons pas la primeur des annonces et quelques minutes après, nous sommes déjà interpellés par des habitants sur ce qui a été dit... À part faire du travail de pédagogie, nous n’avons pas beaucoup de solutions.
2. dans notre organisation interne. Le travail à distance des agents n’a jamais réellement été mis en place dans la mairie, surtout à grande échelle. De même pour les élus, qui étaient pour une grande partie présents tous les jours en mairie. Le confinement nous a obligé à trouver des solutions de fortune. Mais il faudra y réfléchir posément : la mise en place de solutions techniques organisées sera un grand chantier à mener à l’issue du confinement.
3. Avec la crise, quelles évolutions voyez-vous pour le rôle des collectivités locales?
Tout ce que je viens de dire prouve le rôle essentiel des collectivités en temps de crise. Les mairies et les maires sont les plus proches des habitants, qui se tournent naturellement vers eux pour chercher des conseils et des réponses.
Mais pour cela, il est essentiel que les collectivités aient les moyens d’agir. Depuis plusieurs années, tout a été fait pour éloigner les centres de décision des habitants. En transférant les prérogatives des mairies vers des structures plus complexes et moins proches des habitants comme les métropoles, ou en diminuant drastiquement leurs ressources, il est de plus en plus difficile pour nous de répondre aux attentes légitimes des citoyens.
Est-ce que cette crise va faire prendre conscience de ça et, sans forcément faire marche arrière, assouplir cette recentralisation dans des grosses structures technocratiques ? L’avenir nous le dira.
4. Nous avons tous pu observer la réactivité des citoyens face à l'urgence et leur solidarité. Pouvez-vous nous parler des actions citoyennes et solidaires mises en place à Saran ?
Dès l’instauration du confinement, des habitants se sont spontanément proposés pour apporter leur aide sous différentes formes. Dans les petites structures ou lorsque les mairies ne disposent pas d’un service public fort, ces aides ont dû être essentielles.
Sébastien Prévot, directeur de cabinet à la Mairie de Saran
À Saran, nous avons la culture du service public de proximité et nous avons pu nous appuyer sur le personnel municipal pour assurer la solidarité. Les habitants volontaires ont été orientés vers les associations caritatives, comme le Secours populaire et les Restos du coeur.
Nous participons aussi à une initiative intercommunale de confection de masques en tissu. Nous avons donc lancé un appel à bénévoles sur Fluicity, pour que tout le monde puisse en fabriquer en fonction de ses capacités.
Il nous a semblé important de permettre aux habitants qui le souhaitaient de pouvoir s’investir et se sentir utiles. On se doute qu’après le confinement, la routine quotidienne ne leur permettra plus de donner autant de leur temps. Mais si cela permet à certains de vouloir continuer dans cette voie, c’est toujours bon à prendre.
5. La commune est déjà rompue aux démarches participatives depuis quelques années, avec le projet "Saran 2000" puis via la plateforme Fluicity. Est-ce que votre vision de la participation citoyenne a évolué depuis la crise ?
Pas vraiment. Qui aurait pu imaginer un jour qu’on demanderait aux français de rester chez eux plusieurs semaines ? Les collectivités sont pour l’instant dans une gestion d’urgence. Tout le monde espère, et j’en fais partie, qu’une fois cette crise passée nous retrouverons nos libertés de mouvement et que nous pourrons revivre normalement.
Il y aura certainement des adaptations dans nos modes de vie, de fonctionnement mais il semble prématuré de se dire que nous allons transformer radicalement notre fonctionnement d’avant la crise. Comme beaucoup d’autres sujets, la participation citoyenne s’est adaptée à cette crise et je pense qu’elle retrouvera, pour nous, le chemin qu’elle avait pris avant le confinement.
6. Quelle serait la première chose à faire pour une collectivité qui souhaiterait mettre en place une dynamique de co-construction avec les citoyens ? Des conseils ?
Pour que la co-construction citoyenne soit efficace, il faut être prêt à entendre ce que les habitants vont nous dire. Parfois, ils vont proposer des choses qui sont infaisables, car ils ne connaissent pas toutes les contraintes de l’administration.
Prenons le temps de les écouter et interrogeons-nous. Ne nous braquons pas sur les propositions, mêmes les plus farfelues et les plus complexes.
Ensuite, entourons-nous d’experts. Faisons confiance aux services municipaux qui vont nous permettre d’apporter leur analyse et de réfléchir aux propositions des habitants (forces, faiblesses, opportunités, risques…). La décision finale revenant aux élus.
A Saran, nous avons commencé petit en interrogeant les habitants sur des thématiques simples à mettre en place (choix d’une aire de jeux pour enfants, emplacement d’une boite à livres, etc.). Puis nous avons commencé à mettre en place des projets simples proposés par eux, comme l’organisation d’une balade éco-citoyenne pour nettoyer nos rues et nos espaces publics.
Notre prochaine étape sera de travailler ensemble sur des plus gros projets : l’aménagement complet d’un quartier par exemple ou la mise en place d’un budget participatif.
"Les voix de la démocratie" continuent de se faire entendre ! Découvrez notre interview de David Carmier, directeur adjoint au cabinet de M. Sébastien LECORNU, Ministre chargé des collectivités territoriales.