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Nucléaire : le débat en défiance, quelles leçons pour la démocratie ?

  • vendredi 3 mars 2023

  • Les débats sur le nucléaire organisés par la Commission Nationale du Débat Public viennent de se clôturer dans un climat de défiance exacerbé. En quatre mois, les différentes parties prenantes (gouvernement, CNDP, porteurs de projets, société civile) se sont retrouvées dans un imbroglio allant jusqu’à remettre en question l’utilité même du débat public sur la question du nucléaire.  Quelles sont les raisons des résultats mitigés de cet exercice démocratique et quelles leçons pouvons nous en tirer collectivement? Julie de Pimodan, experte en intelligence collective, fait le point dans une tribune publiée par le magazine Acteurs Publics.

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    Quel était l’objectif du débat public sur le numérique en France ?

    Sur le site de la CNDP, l’objectif est clair : “La relance de l’énergie nucléaire en France est un choix démocratique majeur qui engage la société pour les décennies à venir.  Chacun.e a le droit d'être pleinement informé.e et de participer à l’élaboration des décisions sur ce sujet, ce que garantit la CNDP”. Initialement, le débat devait évaluer quatre options : (i) ne pas construire de nouveaux réacteurs nucléaires en France ; (ii) utiliser une technologie de réacteur nucléaire alternative à celle de l'EPR2 ; (iii) ne réaliser qu'une seule paire d'EPR ; et (iv) trouver un autre site que celui de Penly. Ce débat était enfin censé nourrir le débat parlementaire sur la loi de programmation Energie-climat attendu au deuxième semestre.

    Quels moyens ont été mis en œuvre pour permettre cette participation?

    L’équipe du débat a d’abord fait le choix d’un investissement important sur le volet communication. Sur le site de la CNDP, on retrouve beaucoup d’informations tant sur la méthodologie du débat, que sur le sujet débattu. Des vidéos explicatives ont été conçues par des partenaires média spécialisés, des lettres d’information étaient envoyées aux internautes, des campagnes sur les réseaux sociaux ont été investies, tout cela dans le but de toucher un large nombre de publics variés.

    Sur le volet purement participatif,  une série de rencontres a été proposée, accessible en présentiel, ou en ligne. Il était également possible de participer sur une plateforme numérique de participation citoyenne qui proposait un module de questions-réponses sur lequel 253 participants ont interagi, et un forum de discussions sur lequel 1100 participants se sont rendus. Enfin un panel composé de 25 citoyens français ont fait des propositions sur l’incertitude climatique et géopolitique liée au débat.

    En quoi ce débat s’est-il finalement mal déroulé ?

    Le débat public sur la construction de nouveaux EPR est suspendu depuis début février : “ses organisateurs se sont sentis court-circuités par le calendrier de l'Elysée et du gouvernement. C'était pourtant censé être un modèle d’exercice démocratique” d’après France Info. Dans la section ‘enjeux du débat’ de son site la CNDP expliquait pourtant clairement les conditions auxquelles le débat serait utile:

    1. “Le débat intervient-il bien avant que la décision ne soit prise ?
    2. Comment éviter que le débat ne se réduise à une bataille d’experts ?
    3. Que pouvons-nous attendre de ce débat public ?”

    Hélas aucune de ces questions préalables n’ont véritablement obtenu de réponse satisfaisante lors des derniers mois. 

    La question de l’antériorité du débat par rapport à la décision est fondamentale car elle conditionne la capacité du débat à influencer la décision politique.

    Cela semble évident mais il n’est pas rare que cette condition ne soit pas respectée dans le cadre d’un débat public.

    Dans le cas du débat sur le nucléaire,  le Sénat est intervenu en plein cœur du débat, en supprimant l'objectif de ramener à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité à l'horizon 2035. A cause de cela, le débat n'a pas atteint son objectif de nourrir le débat parlementaire sur la loi de programmation Énergie-climat attendue au deuxième semestre 2023.  

    La question du risque de la bataille d’experts a également raté sa cible. En effet, malgré une quantité importante de contenus et de réunions diffusées sur le site, on s’y perd. Pour tenter de rattraper ses lacunes sur ce sujet complexe, le citoyen lambda doit passer plusieurs heures de formation sur le sujet, et prendre connaissance de chaque enjeu à travers des enregistrements de réunions publiques, d’une durée de plus de deux heures chacunes. La plateforme digitale semble n’être conçue que pour assurer le suivi de ces longues réunions. En outre, le niveau de connaissance des participants y est déjà très élevé “Existe-t-il une thermocline favorisée par le rejet d'eaux plus chaudes ? Quelles sont les conséquences sur le phytoplancton et le zooplancton? Plutôt que rejeter l'eau chaude résiduelle en mer, pourquoi ne pas l'utiliser pour chauffer des serres, bâtiments, piscines...?” etc.. Bref, le sujet est non seulement complexe et technique, mais les outils de participation sont intimidants et la “version débutants” du parcours de consultation est inexistante.  

    Enfin sur la question de ce qu’on pouvait attendre de ce débat, si l’objectif d’influencer sur le travail parlementaire a été énoncé, on attend des réponses plus concrètes pour les prochains mois. En effet, la méthodologie de traitement et d’analyse de données, la transparence de la restitution, la vulgarisation de celle-ci auprès des médias pour un public plus large seront nécessaires pour aider la CNDP à assurer la réalisation de sa mission de “permettre à chacun de peser sur les projets politiques”.  A ce stade, sur le site de la CNDP on peut seulement lire ‘L’équipe du débat dispose désormais de deux mois pour traiter l’ensemble des contributions et publier son compte rendu. EDF et RTE auront ensuite trois mois pour publier leur décision et leurs réponses aux recommandations de la Commission en charge du débat.’ Cette dernière étape sera indispensable pour justifier l’utilité des moyens investis et pour démontrer de la reconnaissance à tous les participants, aussi experts soient-ils.

    Quelles leçons pouvons-nous en tirer?

    Les trois questions soulevées par la CNDP sur l’utilité d’un débat public : (i) l’antériorité du débat sur la décision, (ii) la nécessité d’éviter la bataille d’experts et (ii) l’impact attendu du débat, sont particulièrement intéressantes et utiles pour toute institution ayant pour projet de lancer un dispositif de participation citoyenne. Être capable de répondre clairement à ces questions en amont d’une démarche n’est pas toujours simple. C’est pourtant la condition nécessaire à la réussite d’une consultation citoyenne. 

    En ce qui concerne l’expérience des participants, en particulier de plateforme citoyenne numérique, il est essentiel, lorsque le sujet est complexe et/ou épidermique, de favoriser un parcours très encadré, permettant à toute personne de participer selon ses moyens, quel que soit son niveau de connaissance dans l’objectif de toucher des publics nombreux et variés. Exemple : un questionnaire grand public permettant de tester les connaissances des participants, un parcours de formation intégré à la plateforme permettant d’avoir accès à des niveaux plus ouverts de participation, etc… 

    Enfin, qu’il s’agisse d’une simple consultation citoyenne locale ou d’un débat public national complexe, la sincérité de la volonté politique est probablement le plus grand facteur de réussite. Ainsi, en l’absence d'un alignement des différents pouvoirs en place sur l’intérêt d’un débat public, il sera difficile d’accorder le temps nécessaire à la bonne réalisation des échanges et impossible de lui donner du poids dans la décision politique.